Né en 1975 à Bordeaux, vit et travaille à Lyon.
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Benjamin Viort par Florent Le Men
Que resterait-il du monde si on lui ôtait les mots ? Que seraient nos souvenirs, que seraient nos désirs ? S’il nous était possible de dessiner par un automatisme plus archaïque que celui auquel les mots nous contraignent, nous retrouverions un dessin du temps, le temps du dessin aussi, dans des figurations sensibles et fuyantes, des évocations anarchiques et pourtant cohérentes dictées par le déroulement de l’acte du dessin. Tenter et répéter ce dessin là, celui du souvenir vague de quelque chose d’aussi vague que l’évocation d’un paysage dans une construction aussi naturelle que synchronique, c’est poser l’important non pas sur l’œuvre mais avant tout sur l’état et le temps de sa création. Ce travail de Benjamin Viort nous rappelle cette pratique du dessin que les peintres chinois entreprirent au 12è et 13è siècle, où il ne s’agit pas de reproduire un paysage existant, un coin pittoresque, mais de s’exercer sans cesse à peindre un rocher, un nuage et de combiner les éléments ainsi acquis pour rendre l’impression d’une promenade, pour saisir l’expression d’un paysage. Comme un poème qu’on aurait trouvé ridicule de comparer à la réalité. Benjamin Viort partage avec eux ce désir de s’extraire de la ressemblance, de l’anecdote pour fixer le sentiment du beau dans le monde avec la conscience que celui-ci n’est pas une qualité propre à l’objet. Comme eux il essaie de développer un répertoire infini de formes et de motifs qui, comme une inlassable entreprise, seraient destinés à venir recouvrir et remplacer le langage.
Qu’ont fait les mots depuis même avant la Bible sinon nous laisser espérer un monde qui serait enfin bien à nous ? Dans son travail d’installation, Benjamin Viort produit des eschatologies pauvres, prévisibles, triviales. Et comme si nous étions destinés à cela, l’enthousiasme ne manque pas, l’espoir et l’attente émergent et s’accumulent le temps que « cela arrive enfin ». Alors que, par contre, on ne s’y attend pas, c’est ce moment-là qui est fixé par l’œuvre et rendu beau en montrant ce besoin que nous avons de poser des mots sur notre attente.
Benjamin Viort surligne notre capacité d’espérer à partir de peu en construisant des cathédrales fragiles et belles à l’effondrement prévisible, à la pulsation programmée, des machines de Rube Goldberg à la fonction dramatiquement absente. Dans son installation « Sous La Nuit I » un souffle chaud donne la vie à d’infimes carapaces géantes et ce mouvement minimal suffit pour installer une projection et son discours, un spectacle de nous-mêmes. Et c’est vrai qu’à travers ces formes nous sommes vivement éclairés. Peut-être ne s’agit-il que de faire porter le regard sur cet espoir qui reste, malgré la déréliction et qui est le germe irréductible d’une croyance naturelle, augustinienne, qui croit malgré, ou avant la compréhension parce que nous sommes nés avec la beauté.
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Notes:
Les réminiscences d’ailleurs, récits de voyage, rappels de paysages visités, forcent l’imaginaire à une reconstitution mentale. Un écart entre le réel et sa restitution graphique, transformé par le parcours sensible proche du «téléphone arabe». L’“à peu près”, le “presque”: l’évocation élabore une image fantôme avec plus ou moins de mimétisme pour dominer le vide. Ce qui reste, ce qui échappe, ce qui s’enrichit ou s’appauvrit; le geste du dessin prolongerait l’obscure arbitraire de la mémoire.
Et c’est chose acquise: le paysage apparaitrait comme une construction par dessus la nature, que l’imaginaire et la culture projetteraient sur l’univers matériel, au travers d’un processus qui donnerait à voir quelque chose de la mémoire collective. Le paysage s’impose donc comme sujet archétypal de mon dessin.
A la vitesse du dessin, un pays se brosse. Un topos fait de compilations, de superpositions et d’antithèses. Mes projets restent à la lisière du nom des choses. Cela ne consiste pas à déchiffrer la complexité de la nature et d’y comprendre quoique ce soit, ni à apprivoiser le pays sauvage réel – ou mental. Il s’agit au contraire de se confronter à l’impossible mais hypnotisante restitution du grand ensemble nature et l’absorption de ses infimes détails, à rendre la sensation kaléidoscopique de cette expérience. Des lignes, quelques repères, des fragments reconnaissables, même réalistes parfois, et une masse, des motifs, une insistance graphique, trait dédoublé ou grossier. Voilà ce qui m’intéresse ici, la tension entre évocation et distanciation.
La méthode reste ordinaire: un trait répond spontanément à un autre, par phases: un temps de la main, un temps du cerveau. C’est assez simple, rien n’est donc très préparé. Il s’agit davantage d’un état. Le premier noeud apparaît, le point d’appui autour duquel le reste de l’image va ensuite s’articuler par zones, se contre-dire puis s’arrêter lors d’une solution possible. Une évocation naïve, grave, grotesque, extravagante, monstrueuse, formée sur de grands papiers, des gravures, des objets de plâtre ou installations en céramique.
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